Happy hour chez l’gros 600!

La route défile sous mon phare réglo de brevet, il est 3 h 20 de la nuit, dimanche le 14 juin 2015. Un point rouge perce le rideau noir 200 mètres plus loin; c’est Marie, elle est en feu.

Mytique Lac-Mégantic
Ce segment du brevet est troublant pour moi, voilà que j’y repasse pour la 5e fois; 5 histoires pas rapport. Car ce type d’épreuve vous réserve son lot d’imprévus, que vous y ayez dédié votre vie à le faire ou pas.

La seule certitude d’un brevet de 600, c’est qu’il n’y en a pas…

Take 5 alors
Je me sens mauditement bien avec Marie, c’est sa prise 2 ici. Son abandon 2014 au Tim juste avant l’avait privée de cette expérience trancendentale ‘around-the-clock‘ sur la 214 vers Lennoxville.

Mais notre couple est fait fort, que certains nous témoignent. 3 semaines plus tôt, MC et moi étions venus ici faire la boucle infernale de 300 km de côtes pour exorciser nos démons sous d’affreuses conditions.

3 h 25 du mat
Je suis dans le flow, j’ai les chakras ben droites, mon biorythme est sur l’EPO, mes cocottes de bike sont orientées Feng Shui, mon aura cosmique est à 120 mégabits/secondes, pis mon signe astral Inca est ascendant Ultegra 10 vitesses toé chose…

Geeewiz que je pue le vestiaire de la finale Lightning/Black Hawks. Je me sens invincible. Pareillement à si je me cachais dans l’abysse sans lumière d’un grenier hanté, pour traumatiser le croque-mitaine.

« Viens-t’en eule’gros… I’ll kick the living shit out of you! »

3h 26
En route vers Milan, Nantes, Scotstown, Cookshire hallelujah. Fait 6C, mon Garmin me donne du 2C dans les descentes. Ah oui… le concept de route plate à 0% n’était pas au programme des n’ingénieurs du coin dans le temps, bin quin.Je les imagine en meeting se claquer les cuisses, morts de rire devant une grosse caisse de 24 en traçant leur maudite route des sommets.

« On leu’ mets-tu du 4%, du 8%? – C’mon Georges, bourre-les sur du 10 pis du 12%… wouah!!! »

Je niaise… vous êtes donc ben cools mes petits génies, merci de nous donner cette pittoresque expérience du mont Everest, c’est tellement formidable en pédalant dans un encrier… gang de comiques !

Nous avons dormi 3 heures depuis les derniers 21 tours de cadran (quasi nuit blanche, tiens). Le réveil est toujours brutal, car on dort, si possible, dans le 600.

Dring, dring debout 2h AM, les effluves de nos jerseys et cuissards sont totalement dignes du marais de l’éternelle puanteur de Shrek. Mais après 20 minutes de moulinage, la chambre des machines reprend du pep, pis on ne sent plus rien: dans tous les sens du terme; la draft de nos déplacements aidant.

Une chance qu’on n’a personne dans nos roues arrières… Oups, j’entends Pascal, Gaby et Benoit au loin. Je lirai plus tard dans le récit de mon pote de coeur que les 3 zouaves moulinaient façon Indianapolis 500 depuis 30 km pour nous torcher… Ce qu’ils feront!

Mon croque-mitaine me souffle à la régie… y t’en reste encore 270 km à bouffer de la côte ad nauseam, gracieuseté de l’institut de la démence sur route, tu vas en chier mon papi!

C’est dur le 600, maudit que c’est intense… Vous autres les fêlé(es) de la pédale ou du running shoe vous savez de quoi je parle… On a tous ce ‘mur’ quelque part qu’on se dévoile à nous-mêmes lors d’une épreuve où on passe outre nos propres limites connues.

Moi, la première fois que j’ai réussi le 600 en 2013, j’ai découvert mon Waterloo, ouaip… 420 km it is pour Papi. Le bonhomme 7 heures me mordait les mollets pis me lançait du sable dans les yeux. Cette fois-là, ça avait fini 1 à 0 pour papi: against the monster.

3 h 28
Cette nuit, 2 ans plus tard, je le sais que je serai top shape jusque-là. Ensuite, prière de ne pas me parler parce que je vais vouloir pogner mon *?&?@@$#*!!!! de bike, y arracher sa chaîne beurrée, y donner 3-4 coups de pieds dans les broches pis l’attacher après un arbre sous la lune pour que la rouille lui bouffe le peu de métal qu’il a autour de son ti-frame propret de carbone dernier cri.

Meurrrrrre mon bachi-bouzouk de LOOK 566 à la noix de coco !

Ben nooooon, je dérape là, hum, ça me tente un peu quand même…

Bâtard qu’au mur on est misérable… Ouf que ça prend du sang froid. Ça adonne bien, y fait plus frette que dans un fridge en ce moment.

Heureusement, le Waterloo en question on passe au travers assez vite, on serre les dents, on mastique ses bâtard de barres Cliff infectes et on ingurgite nos gallons d’électrolytes qui gouttent le Windex.

Une chance simonac, parce que Lennoxville nous attends pour le contrôle numéro 5 au km 419.9; au plus tard à 9h 04 am. Pas 9h 05, sinon disqualifié, LOL !

J’peux-tu vous dire que je n’ai pas faim là là…? Un moment donné, je laisse MC me distancer encore plus dans le noir, pis je recrache ma dernière ration de Cliff sur le bord de l’accotement; pu capable. Saveur Trail mix machin, ou bleuets cosmiques des champs. Pour moi, après 300 km ça goûte juste le carton mouillé échappé par un truck à vidanges ! Les ratons du boutte vont peut-être se faire tout un snack?

Je me pitche sur mon muffin graines de pavot et citron du dernier Tim. Pas nourrissant pour 5 cennes, mais je vais au moins souffler sur les braises de la chambre des fournaises avant que le contremaître ne vienne me blaster dans pas long pour m’annoncer que je vais ‘bunker’ (lire abandonner) dans 2 heures faute de ‘fuel’ dans mon body.

On n’arrête pas pour manger en ultra-distance; trop long, y a un petit sac proche du guidon pis on pige dans le cooler en pédalant. Et on ne mange pas ce qu’on aime dans une épreuve de sport extrême… on garde les cadrans au vert du réacteur CANDU avec des sandwiches au plutonium!

La forêt, les bibittes à Bon Dieu, le monde normal pis les patentes à moteur dorment ben raides. Ouf… le 600 c’est le département des paradoxes sur 2 roues. La souffrance est omniprésente, l’épreuve du mental nous stigmatise. Mais du même coup, dans cette nuit juste pour Marie et moi, et nos 23 autres potes… nous kidnappons la route…

J’entends le vent qui siffle sous mon casque. Vous savez l’hiver… quand la fenêtre mal fermée du chalet vous offre ce petit son de dewors en swignant les flocons à l’horizontale? Hummmm, j’adore cette douce furie de la nature.

La routine réconfortante de mes roues roulant steady sur le ti-lacet noir de route. Les rayons et les jantes qui vrombissent en un bruit sourd et profond, comme une fournaise à l’huile bienveillante.

Mon bike est sale, mes pneus Gator full Kevlar ressemblent à des chenilles de char d’assaut pannées de bouette là où le bitume ne rencontre pas les roues… Le cadre orné de tie wraps tenant le filage électrique du dynamo et des phares. Le jus gommé de gatorade rouge et orange coulant du bord des bouteilles et se fondant dans les rainures de poussière noire de pads de freins mêlée à l’eau de route; signe des descentes infernales à 60 km/h les 2 mains crispées sur les guidons pour ne pas pogner 90 km/h.

J’aime ce feeling de la machine sur deux roues qui en a vu d’autres; laide et belle à la fois, fiable, simple et prévisible.

Les minutes passent, les heures… oups, de quessé? La forêt enchantée se réveille… Il faut le vivre, les oiseaux ! Les ti-pits s’activent doucement, au début c’est une petite musique distante au travers des coups de pédales. Ça vient des 2 bords de la forêt; de plus en plus fort. Twittttt, prouitttt pouittt à la folie.

Mon coeur s’emballe ! 4 h 45 genre, les bibittes ailées chantent, maudit que c’est beau et unique. Ils se répondent on dirait qu’ils se twittent des textos en ‘the bird language’ pour jaser des 2 abrutis sur la route tu seuls, mais si beaux ensemble. On est souriant Marie et moi, y a de la joie que je crie ben fort de la réserve de ciel étoilé de Lac-Mégantic. Je suis extatique!

ahhhh je me calme

Pause pipi là, stop Marie et moi, on fait ça synchro nous autres. Routine de couple oblige et chrono de brevet, papi en 1er, ensuite MC. Et hop on croise Scotstown.

De quoi d’encore plus émerveillant me sacre le feu dans les jambes, la chambre des machines m’envoie un rapport au VERT sur les turbines: GO amiral GO, j’ai du kérosène plein la bédaine!

Ben c’est quoi le trip mon Yves ???

Le jour… il se lève !
De notre pot d’encre ben nouère commence à se dessiner la cime des arbres à bâbord et à tribord. Ben oui, on le sait qu’ils sont là depuis qu’on a quitté le chic motel Quiet de Mégantic, mais de les voir apparaître comme ça en son et lumière, c’est tout simplement magique.

Ça me reviens… les gens du Lac-Mégantic disent: le motel coui-ais (Quiet), trop charmant.

Heille les n’ingénieurs de la route des sommets…, bien contents finalement de votre design de mongols. La route est magnifique. Du noir profond, elle passe au bleu ardoise, ensuite mauve violent violet.

Le ciel s’illumine tout d’abord tout doucement, la brume et la vapeur d’eau embarquent. La rosée éparpillée sur l’herbe verte en million de chapelets de diamants brillant sous les premiers rayons à rase-motte du soleil. C’est tellement étincelant, ça m’aveugle quasi.

C’est trop, je capote ben raide, je suis si heureux de faire ça avec la femme de ma vie. On se crie des je t’aime par dessus le party rave de la forêt. Je ne veux pas que ça cesse.

La zone est sur les amphétamines !

Le froid reçoit son bleu… Nouvelle administration sur la 214! Le vent devient chaud tout à coup, nos premiers chars reprennent possession de leur précieuse traverse à machines.

Nos premiers bouts de linges sont congédiés. Un brevet c’est la salle d’essayage non-stop: habille déshabille, gèle dégèle.

Je sens Lennoxville dans mes pattes, un bon 1 h 50 encore dans le festival de la côte et on sera à temps au contrôle et on pourra même prendre 30 minutes pour déjeuner cré-tak! C’est con, mais je rêve de mon Ti-Matin Saucisse depuis un bon 15 heures, avec un vrai café chaud dans une vraie tasse.

On nous nomme le couple infernal, mamie et papi, les amoureux dans leur phase niaiseuse, c’est selon.

Marie et moi on trouve tout ça vrai et juste.

Mais une chose m’habite en ce moment: Galantine et galantin, nous savons mauditement pourquoi on fait cela elle et moi…

Le dépassement de soi dans l’entraide. L’émerveillement de ce que la vie et la nature ont de plus beau à offrir. Le fun de vivre sa vie au lieu de la subir. Le plaisir de vivre des aventures qu’on aurait voulu lire dans un livre. Le fun d’être dans les images au lieu de les prendre.

Faudrait être de mauvaise foi pour en désirer davantage…

6 réflexions sur “Happy hour chez l’gros 600!

    1. Salut Yves, félicitations encore une fois pour votre nouveau périple. Je suis toujours émerveillée de voir comment tu racontes ta nouvelle destination. On a l’impression de vivre les périples d’Indiana Jones en vélo. Au plaisir de te lire dans tes nouvelles aventures. À bientôt! Johanne Lebel

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    2. Un gros merci ! C’est difficile même de traduire tout ce que l’on peut y vivre. Marie et moi découvrons une passion naissante… les longues distances à travers le monde !!! Oh que oui, c’est un départ.

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  1. Yves le récit est fabuleux, tu nous permet de le vivre avec vous. Tu l’as dit le dépassement de soi dans l’entraide et c’est je te dirais encore plus beau et essentiel que votre levé du jour.
    Je pensais malade mais vous l’êtes encore plus que moi je pense. Mais chose certaine vous êtes un couple magnifique. Lâchez pas !!!

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    1. Merci pour ces beaux mots, je les ai transmis à Marie-Claude 🙂 Dans notre cas, c’est vraiment l’élément clé; l’entraide dans des situations très difficiles. On se dit que c’est ça le vrai amour, des moments les plus durs, naissent les sentiments et les liens les plus forts et les plus durables !

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